A quelques jours d’un premier vote sur le texte législatif à l’Assemblée nationale, Sara Piazza et Katy Bontinck alertent sur les angles morts de ce débat. Comment assurer que le choix de mourir ne soit pas une conséquence de l’absence de possibilité de vivre décemment ?
Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
A l’approche du vote sur la légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté à l’Assemblée nationale, il est urgent de remettre en cause la représentation de la mort comme étant une question strictement personnelle et intime. Le débat en cours n’est pas qu’une affaire de choix individuel ; il questionne notre contrat social et de notre conception de la dignité humaine. Tout comme les féministes ont révélé que la sexualité, autrefois reléguée à la sphère privée, est profondément politique, nous devons aujourd’hui reconnaître que la manière dont nous mourons est façonnée par les structures de pouvoir et les inégalités sociales.
Historiquement, les féministes ont démontré que la sexualité des femmes, marquée par des violences et des discriminations, ne pouvait être dissociée de la lutte pour leurs droits. Ce que nous faisons de nos corps, les choix que nous faisons dans l’intimité de nos chambres à coucher, sont profondément influencés par les structures sociales et les pouvoirs en place. En dénonçant les violences sexuelles et en réclamant le droit à disposer de leurs corps, les femmes ont politisé l’intime. Elles ont montré que le privé est indissociable du public, et que la sphère personnelle est traversée par des rapports de pouvoir.
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La mort est collective
De même, la question de la mort, souvent perçue comme un moment strictement personnel bien que désormais largement médicalisé, mérite d’être réexaminée sous l’angle de la justice sociale et de l’équité. Les conditions dans lesquelles nous mourons ne sont pas neutres ; elles sont façonnées par notre accès aux soins, par les ressources dont nous disposons, ainsi que par les représentations sociales de la dépendance et de la maladie. Le moment de notre mort est lui aussi déterminé en partie par notre environnement social et économique. Les inégalités en matière de revenus, de logement, de soins de santé et de soutien familial ne disparaissent pas par miracle au moment de l’aggravation d’une maladie ou de la dégradation d’un état de santé.
Or le sujet de l’euthanasie et du suicide assisté est trop souvent présenté comme une question de choix individuel, de liberté ultime et autonome, masquant ainsi les dimensions économiques et sociales qui influencent ces choix et la nature fondamentalement interdépendante des relations humaines, en particulier dans des moments de vulnérabilité. La mort, comme la vie, est structurellement collective. Les personnes malades, âgées ou handicapées ont besoin d’un peu plus d’aides humaines et financières pour vivre dignement, qu’il s’agisse des soins à domicile, des hôpitaux ou des Ehpad. Leur expérience de la vie et de sa fin est influencée par des facteurs tels que la qualité des soins, le soutien familial et social, et les choix politiques faits en matière de santé.
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Il est essentiel de reconnaître que le choix de l’euthanasie ou du suicide assisté ne se fait pas dans un vide social. Les inégalités de notre société se répercutent jusqu’à notre dernier souffle. Les personnes vulnérables, qu’elles soient âgées, malades ou handicapées, sont particulièrement affectées par les conditions de vie qui peuvent rendre la dépendance et la fragilité insupportables. Le risque est que le « choix » de mourir puisse être un reflet de l’absence de moyens donnés pour vivre dignement. Par conséquent, il est impératif de considérer les causes sociaux et économiques de cette décision.
A quelques jours d’un premier vote sur le texte législatif, nous devons nous interroger sur les angles morts de ce débat. Comment assurer que le choix de mourir ne soit pas une conséquence de l’absence de possibilité de vivre décemment ? Comment garantir que l’euthanasie ne devienne pas une réponse facile et peu coûteuse aux défaillances de notre système de santé et de protection sociale ? La légalisation de l’euthanasie et du suicide assisté ne doit pas être perçue comme une simple extension de la liberté individuelle, mais comme une question qui engage notre responsabilité collective.
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Accès au soin
L’expérience des pays ayant légalisé l’euthanasie ou le suicide assisté nous montre précisément que le choix de mort des personnes malades est le plus souvent dicté par la souffrance et l’isolement, accentués par un manque de ressources et de soutien. Si les bien-portants – qui représentent l’immense majorité des soutiens à la légalisation – pensent régler l’angoisse liée à la dépendance et à la mort par une loi, les patients comme les soignants savent que le problème crucial aujourd’hui concerne l’accès aux soins pour être, sinon guéri, du moins soigné et soulagé.
La dignité en fin de vie ne doit pas être simplement synonyme de choix de mourir, mais aussi de conditions de vie permettant de vivre jusqu’au bout avec respect et soutien. Une société qui se contenterait de légiférer sur l’euthanasie sans améliorer les conditions de vie des plus vulnérables renoncerait à son devoir de solidarité.
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Le sujet de l’euthanasie et du suicide assisté mérite d’être replacé dans un cadre plus large incluant la lutte contre les inégalités et la promotion d’une société où chacun peut vivre – et mourir – dans le respect de la dignité humaine et la prise en compte de notre vulnérabilité à toutes et tous. Il est temps de politiser la question de la mort, de la même manière que nous avons politisé la question de la sexualité.
Légaliser l’euthanasie ne doit pas être une échappatoire aux devoirs que nous avons envers les plus vulnérables, mais une prise de conscience collective de notre responsabilité partagée. A la suite des luttes féministes qui ont permis de reconnaître la dimension politique de la sexualité, nous devons reconnaître que la manière dont nous mourons est intrinsèquement liée aux conditions sociales et économiques de notre vie. La mort est intime, oui. Elle est aussi politique.
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BIO EXPRESS
Sara Piazza, psychologue clinicienne en soins palliatifs et en réanimation à l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis. Coautrice avec Isabelle Marin de « Euthanasie, un progrès social ? » (Edition FeedBack, 2023)
Katy Bontinck, élue locale socialiste chargée notamment de la santé à Saint-Denis et Plaine Commune (93). Militante féministe.
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