Krupa est un joli petit hameau de 50 habitants dans l’arrière-pays de Zadar. Il doit son nom à la rivière d’eau turquoise qui y prend sa source et que l’on entend couler à chaque coin de rue, par-dessus le chant des cigales. Krupa est aussi une bourgade à majorité serbe, dépeuplée, oubliée et appauvrie, comme la plupart des localités de l’ancienne « Krajina », cette région frontalière de la Bosnie-Herzégovine qui s’est proclamée indépendante en 1991, avant d’être reprise par la Croatie il y a 29 ans, lors de l’opération « Tempête » en août 1995. Les maisons ne sont pas raccordées au réseau de distribution d’eau, les routes sont en mauvais état et les téléphones portables ne captent pas.
« Parfois, lorsque des membres de ma famille installés en Australie, en Allemagne ou en Serbie me rendent visite, ils me disent : “Milica, que fais-tu ici ? Va-t’en.” Mais je vois quelque chose de beau dans cet endroit, et j’espère toujours que les choses s’amélioreront », affirme Milica Gužvica, 45 ans, qui travaille dans une usine d’embouteillage d’eau et élève des ânes pour compléter ses revenus.
Originaire de ces terres, Milica ne les a quittées qu’en 1995, à l’arrivée des chars de l’armée croate. « Avec mon père, ma mère et ma sœur, nous avons rejoint la colonne de réfugiés quittant la Croatie. Tant de gens ont été tués. Tous morts sur le bord de la route », se souvient-elle avec les larmes aux yeux. Plus de 200 000 Serbes sont partis de Croatie cet été-là, et très peu sont revenus.
« La Croatie recule plus qu’elle n’avance »
Milica et son mari ont décidé de se réinstaller à Krupa en 2001. Leurs maisons familiales y avaient été incendiées. Le couple a rénové l’une d’elles et a mis en vente l’autre. C’est ainsi que Milica a rencontré Silvana Čeko Jurišić, une psychothérapeute croate qui fuyait la ville pour s’installer à la campagne et qui est devenue sa meilleure amie. Aujourd’hui, les deux femmes se battent pour améliorer la qualité de vie à Krupa. Pendant la pandémie, elles ont distribué des masques et des désinfectants aux habitants. Plus récemment, elles ont organisé un cours d’anglais auquel a participé une vingtaine de femmes des environs.
« Je dirais que l’État ne s’occupe pas de cette région. Il fait le strict minimum. Si une route est goudronnée, elle l’est juste assez pour qu’une voiture puisse passer en cas d’urgence », déplore Silvana, qui a dû installer StarLink, l’internet par satellite d’Elon Musk, pour effectuer ses séances de psychothérapie en ligne. Le fait de vivre dans un village serbe en tant que Croate ne lui pose aucun problème, même si « le climat de nationalisme se fait sentir ici aussi », avoue-t-elle. « Lorsque vous êtes un Serbe en Croatie, c’est comme si vous n’aviez pas le droit de raconter votre histoire », affirme Silvana, qui estime que « la Croatie recule plus qu’elle n’avance ».
Une rhétorique antiserbe devenue la norme
À la suite des élections législatives du 17 avril, le Mouvement patriotique (DP) d’extrême droite est arrivé au pouvoir à Zagreb, formant une alliance avec le premier ministre conservateur Andrej Plenković. En échange de son soutien au gouvernement, le DP a exigé l’exclusion des Serbes de la nouvelle coalition. Le Parti démocratique indépendant serbe (SDSS) a ainsi perdu le poste de vice-premier ministre qu’il occupait dans le précédent exécutif. « Andrej Plenković continue de dialoguer avec nous et certaines de nos propositions ont été acceptées. Mais d’un point de vue symbolique, la participation des Serbes au gouvernement est une tout autre chose », regrette le président du SDSS, Milorad Pupovac.
Près de trente ans après l’opération « Tempête », l’homme politique ne peut s’empêcher de constater que « les Serbes sont discriminés en Croatie » et que « la rhétorique antiserbe est devenue la norme dans le débat politique ». « C’est comme si la Croatie n’avait pas compris que ce qu’elle fait aux Serbes et aux territoires qu’ils habitent, elle se le fait à elle-même », poursuit Milorad Pupovac, qui promet : « Même s’ils nous diabolisent, nous continuerons à travailler pour ces personnes, ces territoires et pour ce pays. »
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